« Ah ! madame dévergonde de la moniche, à présent ! Elle effrène du dargeot ! On fait sa petite salope à haute tension, hein ? Dis, coquine, tu nous mènes droit à la surchauffe. M’embrase pas trop l’panais, j’vas en avoir b’soin c’soir pour ramoner la Bérurière dont au sujet d’laquelle c’est son annif. La vache, ce qu’é démène du dargeot ! Yayaï, t’as pas peur d’couler une bielle, toi ! J’ai déjà le zobard en flammes comme si tu m’l’passererais à la pommade du Tigre ! A c’p’tit jeu, t’es pas gagnante, la mère ! Moi aussi j’y vais d’mon sprinte ! Le cul аbascule, tu pouvais pas mieux tomber ! Tiens, bougresse ! Et ça, c’est pas de la locomotive haute de pied ? Charrrognasse, va ! Si t’aimes l’pilon, déguste ! »

Et le Mahousse, survolté, déclenche ses manœuvres des grandes circonstances. Il pèse si fort, si lourd, que le couvercle du cercueil servant de support à ces transports de suppôt insupportable éclate. (Comme quoi, la qualité des pompes funèbres Gastounet, tu repasseras !) La dame se trouve abaissée d’une quarantaine de centimètres. Mais cette brisure ne désunit pas le couple. Simplement, le Majestueux a lâché l’exquis popotin de Mme Tanatos pour se cramponner aux montants de la bière. Un pompier parisien surentraîné n’aurait pas réussi sa reconversion avec une telle fulgurance. Il continue de limer dans les bris de sarcophage.

Pendant qu’il dévaste le pot de Gisèle, il voit la porte du fond de l’entrepôt s’ouvrir, et trois personnages entrer. Y a un grand con habillé de maigre dans les teintes sombres, avec gilet gris, gants gris, onguent gris. II précède un couple en chagrin : une femme, frisant la cinquantaine et un dadais de bientôt vingt piges qui se trimbale une tarte aux fraises en guise de figure, because l’acné. La dame est rougie de pleurs, le dadais, sinistré par un deuil. Le trio stoppe, interdit, ne réalisant pas, de loin, la nature de l’étrange scène. Bérurier adresse une mimique accueillante par-dessus le cul de Gisèle. Les arrivants s’enhardissent et avancent. Mme Tanatos est au bord du panard et commence à clamer que « Oh la ! Oh lala ! Oui, plus fort ! Fourre-moi tout, salaud ! ». Ce qu’entendant, Béru, avec sa courtoisie habituelle, explique du geste, aux visiteurs que sa partenaire se laisse emporter par la frénésie de ses sens mais qu’elle se comporte avec plus de retenue dans la vie courante.

Le personnage en gris continue d’avancer. II est pâle comme ceux qu’il met en bière. Arrivé au couple, il balance une mandale au Gros. D’aucuns, mornifiés en pleine bouillave, seraient désarçonnés, voire pour le moins décontenancés. Béru, lui, simplement, il prend appui d’une seule paluche. Chope de l’autre son tagoniste par le revers, l’attire à soi, lui colmate les orifices faciaux d’un monumental coup de boule et le laisse couler dans son k.-o., sans cesser son galop éperdu vers les délivrances suprêmes. La Gisèle hurle que c’est extra ! Cris khomeinyesques[6]. Elle profère un intense, un interminale « Ouiiiiiiiii », interminable comme la rue de Vaugirard qui est la plus longue de Paname. Et puis s’écroule dans le capitonnage du cercueil, haletante, le prose en bosse de dromadaire.

Sa Majesté embroquante s’essore l’intime à son tour, mais avec beaucoup plus de retenue. Juste un petit « Hep ! » de charretier.

II exécute deux pas en arrière afin de se déplanter le mandrin (peut-être même trois, j’ai pas pris garde) et demande aux survenants :

— J’suppose que vous v’nez pour une commande ?

Acquiescement muet du couple effaré.

— Laissez-moi d’viner : c’est le papa qu’a fourgué son estrait d’naissance, hein ? Médème est la veuve et v’là l’grand fils ?

Nouvelle approbation incertaine.

Le Gros tend sa large dextre enfoutraillée à la dame :

— Toutes mes plus charmantes gondoléances, chère maâme. C’est la vie. L’temps est un grand maître ! D’ici quèques jours ça s’tassera, et vous pourrerez vous retourner sur l’avenir. Bien maquillée, av’c des bas résille, j’sus certain qu’vous en jetez encore ! J’sais que si vous me laissereriez vot’ adresse, je pourrais passer prend’ d’vos nouvelles à l’occasion. Vs’avez pu constater qu’j’ai du répondant. Avant d’vous décider le choix, fait-il encore, assoyez-vous sur ces boîtes à osselets. Si vous voudrez la vérité : c’est pas du vrai bois, mais d’l’aggloméré.

Il tapote le dos du dadais dodu.

— C’est toi qu’es le plus à plaind’, gamin. Ta vioque aura pas d’mal à se refaire chibrer, mais toi, un dabe, c’est pas évident ! J’sais qu’ ma pomme, quand j’ai perdu l’mien, j’ai perdu gros, surtout qu’y p’sait plus de cent vingt kilos ! Enfin, la mort c’est la vie, hein ? Qu’est-ce c’est c’baveux que tu tiens à la main ? Quoi ? On y cause d’l’accident d’ton vieux ? Ah ! il a morflé une moto dans le baquet, le pauv’ mec ? Moi, les deux roues, j’sus toujours été contre. Montre voir !

Le Gros prend délibérément son journal au fils Mouillefroc. II l’ouvre. En constatant la première page, ses yeux s’exorbitent. Il bée en grand de la bouche. Un râle bizarre lui vient, pareil à une énorme bulle sonore qui aurait pu être un rot contrarié, mais qui est en fait une plainte d’agonie.

II a un étourdissement, titube, puis s’écroule au côté du sieur Tanatos.

M. BLANC NE VOIT PAS LA VIE EN NOIR

Figé à terre dans une attitude de gisant marmoréen, il ressemble à quelque roi carolingien ayant un feutre cabossé en guise de couronne. Il n’est pas sans noblesse, le bougre.

Les Mouillefroc, mère et fils, s’approchent à pas lents. La scène leur désoblige l’entendement. Venus choisir des obsèques décentes pour le papa, ils se retrouvent seuls (ou pratiquement comme si) dans un entrepôt plein de cercueils. Le croque-mort gît k.-o., une dame se remet mal d’un coït forcené perpétré dans une bière éventrée, et son partenaire vient de s’écrouler, terrassé par un excès de bonheur ou une crise cardiaque ; il appartiendra à la médecine de se prononcer.

Le dadais boutonneux louche sur la chatte béante (il y a de quoi !) de dame Tanatos dont la frisure est en grand désordre. Sa maman reluque, elle, le braque mal garé de Bérurier. Il y a alors un silence impressionné.

Contre toute attente, c’est la croque-morteuse qui le rompt.

— Qu’est-ce que tu m’as mis, gros dégueulasse ! chuchote-t-elle, pas encore rangée des pâmades.

Elle a les yeux fermés, des voiles de volupté accrochés de partout. Bien que déqueutée, le vide qui succède est encore de Bérurier.

Elle balbutie :

— Une bite pareille, on me l’aurait dit, j’aurais jamais cru ! et que je puisse la prendre dans les miches, alors là !..

Son bonhomme en a profité pour se rassembler les esprits et la regarde, agenouillé près du cercueil endommagé. Il a la frite d’un qui a bu la tasse et qu’ébroue au sortir de l’eau. Il matouze sa rombière avec l’air de se demander s’il est devenu somnambule.

La Tanatos continue de courir sur l’aire de la félicité sensorielle.

— Quand je pense au gratte-cul ridicule de mon mari, poursuit-elle, je bénis le ciel de t’avoir fait garer ta voiture devant l’agence. J’aurais pu passer ma vie sans connaître un paf de ce calibre !

— Putain ! rugit Tanatos.

Dès lors, elle réagit, renoue, constate, accepte.

— Ah ! tu es là, figure de con !

— Ououaââoi ! brame le cervidé.

Mme Gisèle sent que son existence vient d’exécuter un cent quatre-vingts degrés. Dans sa situation, deux soluces : tu demandes pardon, ou tu passes la vitesse supérieure. En femme avisée, elle a choisi la seconde, la devinant payante.

— Ah ! ne la ramène pas avec ton zizi d’enfant de chœur, je ne le tolérerais plus !

Découvrant du public, elle le prend à témoin et enchaîne :

— Douze ans que je me laisse tringler par un sapajou qui a une queue de cerise ! Moi, chaste, épousée vierge, pouvais-je me douter qu’il existait des membres comme celui du policier ?

Tout en causant, elle arrache le capiton du cercueil afin de s’en torchonner la moniche ; faut toujours « faire » avec ce qui vous tombe sous la main…

— Vous voyez ce croque-mort ? II a le zizi plus funèbre que ses pompes. Douze ans, madame, qu’il prétend me faire jouir avec un sexe qui ferait honte à un serin. Et puis voilà qu’un mâle débarque dans ma vie ! Un vrai. Un surdoué ! Mon avant-bras, madame ! Vous prenez ça dans le baigneur et vous ne vous rappelez plus qui vous êtes. J’ai cru que je devenais folle de bonheur. J’ai dû crier, non ? Oui, vous m’avez entendue prendre mon pied ? Vous auriez été à ma place, vous faisiez de même. Une sensation de cette ampleur, aucune femme ne peut la subir sans hurler. Mais où est-il, mon beau chevalier ? Là ? Où ça, là ? Par terre ? Mon Dieu ! C’est mon cocu qui l’a estourbi ? Tu as frappé monsieur, Ferdinand ? Un policier chevronné ! Avec un sexe plus fort que tout mon avant-bras ! Tu as osé ! Un minable comme toi, monté comme un yorkshire ! Comment ? Non, c’est pas toi ? C’est pas lui ? Que dites-vous, jeune homme ? Il s’est évanoui en lisant la première page de votre journal ? S’évanouir, lui ? Une queue comme mon avant-bras ? Vous plaisantez ! D’abord, qu’est-ce qu’il raconte, ce journal ?

Elle se débière complétement et va ramasser le quotidien.

Un titre sur quatre colonnes :

« L’avion de la Swissair dont on était sans nouvelles s’était abîmé en mer. »

En plus petits caractères :

« Des épaves de l’appareil repêchées au large de Terre-Neuve. »

En encadré sur trois colonnes :

Aucun survivant.

Le Commissaire San-Antonio parmi les victimes.

Deux photos représentent les épaves du D.C. 10 éparses sur l’océan déchaîné. En médaillon, une photographie de San-Antonio, pas très fameuse. (Sur le cliché, il fait plus vieux que son âge lui qui, d’ordinaire, fait plus jeune que le mien !)

Pas bête, cette Gisèle. Elle s’écrie :

— C’est la mort du commissaire San-Antonio qui doit lui avoir fait cet effet : ils travaillaient ensemble. Ferdinand, figure de fifre, occupe-toi de lui, bonté divine ! Un homme avec un membre plus long que mon avant-bras ! J’espère que c’est pas grave !

Ferdinand court chercher une bouteille de Chartreuse verte. En fait boire de force à l’absent. Et le miracle survient : Béru sort des vapes, ouvre ses stores. Alors il éclate en sanglots. Il se roule à plat ventre sur le plancher, au risque de se planter des échardes dans la bitoune. Il donne du poing, de la voix. Hoquette, glapit :

— Tonio ! Mon Tonio ! mon pote ! Mon frelot ! C’est pas vrai ! Mon aminche ! Toutes ces gonzesses qu’on a tirées ensemb’ ! Tonio ! Ces parties de castagne ! Des chicornes pas croyab’ ! Des espéditions vach’t’ment saignantes ! O mon Dieu, pourquoi-t-il avez-vous-t-il permis une horreur pareille, bordel ? Pourtant on est des braves hommes, non ? Qui croivent en Vous, sans jamais Vous faire la moind’ arnaque, nom d’ Dieu !

Et il larmoie de plus rechef ! Et il en veut à terre entière, au ciel, aux lois, à la vie !

Il se relève en pétant ! Sa bite pas complètement raccompagnée dans ses foyers en profite pour ressortir prendre l’air. Béru ne sent plus rien. Il n’est qu’infinie détresse ! Image du malheur ! C’est un être terminé ! Un rafiot échoué parmi les brisants d’une côte escarpée, disloqué, dont chaque morceau est embroché sur un écueil acéré comme une saucisse de cocktail sur un pique-olive.

Visage dantesque que celui d’Alexandre-Benoît Bérurier à cet instant ! Apoplectique ! Fissuré ! Boursouflé ! Dégoulinant !

Il s’adresse à la veuve Mouillefroc, l’apostrophe :

— Vous pouvez pas comprend’, vous, la mère ! Vot’ bonhomme, v’s’en faites vot’ deuil d’ bon cœur à force de vous avoir fait chier ensemb’ ! Une tête d’con, j’la voye d’ici ! Râleur, teigneux ! Son tiercé, télé-foot ! La pointe, connaît plus ! C’t’ moto qu’il a dégustée dans l’portrait, si v’voudrez qu’j’vous dise, c’t’une délivrerance pour vous ! Si, si ! Vous verrez, ma vieille ! ça va t’êt’ l’embellie, maint’nant ! La pipe au facteur tous les matins ! Un’ petite embroque du voisin d’palier su’ la table d’la cusine pendant que sa gerce est au marka. Moi, comprenez-vous-t-il, c’t’un ami que j’perdasse, pas un pot d’merde comme vot’ vieux ! Un être unique au monde. Beau, courageux, avec mon humour, mon intelligence, ma séduisance naturelle. Son nœud ? L’modèle en dessous du mien, mais alors branché sur la haute tension ! Un’ perte irréréparable pour les craquettes de ces dames ! Et sa maman, dites, sa chère maman ! Qu’est-ce è va d’viendre ?

Il pleure en trombe. En cataracte. En chasse d’eau !

Touché, Ferdinand, le prend à l’épaule.

— Allons, allons, murmure-t-il, il ne faut pas vous laisser abattre : le temps est un grand maître.

— Ecoutez-moi c’marchand de sapin qui joue les consoleurs ! s’emporte l’abdominal homme des neiges. On lui tronche sa mousmée, on y fait sauter ses contrebûches, et tout c’qu’il a pour vous r’monter l’mental, c’est « l’temps est un grand maître ! » Pauv’ crêpe, va ! J’ai bien eu raison d’l’embroquer princesse, ta rombiasse, Dugland, car j’sus pas près d’bouillaver après un tel malheur. Mon Sana ! C’qu’on a vécu ! Avec Pinuche, on formait tandem indélébile, tous les trois. Et puis voilà. Jamais je pourrerai rebaiser.

« Ma pauve’ Gisèle, vous aurez été mon dernier coup de rapière ; rappelez-vous-z’en bien en f’sant vot’ toilette. C’est comme qui direrait mon testament qu’vous allez mett’ à ch’val sur vot’ bidet ! L’dernier découillage d’un homme de paf, ma poulette ! Son chancre du cygne, comme qui dirait ! Sa tournée d’adieu ! Bon, allez, faut qu’j’m’emporte ailleurs. Bonne continuation à tous ! »

Il se retire en titubant. Comme sa queue continue de pendre hors de son futiau, telle la trompe d’un éléphant masqué, le fils Mouillefroc s’enhardit à lui signaler la chose :

— M’sieur ! M’sieur !

— Quoi-ce, gamin ?

— Votre bite !

Sa Majesté réagit.

— C’est vrai, constate-t-elle, j’ai l’air d’un poste à essence.

Il remet Mam’zelle Turlure dans ses foyers, remonte le pont-levis de sa fermeture Eclair.

La contredanse de Gisèle a chu de sa poche sans qu’il s’en aperçoive. Le mari déchu la ramasse et sourcille, volte vers sa bourgeoise.

Mais elle tient le dessus pour tout jamais, la Gisèle.

— Tu as quelque chose à dire, Petite Bite ? elle le cingle.

Il hoche la tête.

— Non, rien !


Bérurier demeure à deux jets de foutre de là. Il se traîne jusqu’à sa tanière comme l’ours blessé. En marchant, il psalmodie :