Ma cavale au Canada

AVIS AU LECTEUR
(qu’a eu vachement raison d’acheter ce livre)

Je t’annonce un événement aux retombées incalculables : mon mariage avec Wolinsky.

La couvrante du présent bouquin tiendra lieu de faire-part.

Dorénavant, toutes celles qui suivront seront dues à ce génial dessinateur auquel je souhaite la bienvenue à bord. Ainsi te sera-t-il proposé deux chefs-d’œuvre pour le prix d’un seul.

Si constipé ou gluant de la coiffe, s’abstenir !

SAN-ANTONIO

Je vis enfin au présent parce que mes moyens ne me permettent plus de vivre autrement.

San-Antonio

« Ne cherche pas toujours à comprendre : fais confiance à mon mépris. »

* * *

« La haine est une maman. »

* * *

« Mais pourquoi n’es-tu pas vraiment petit con, dis petit con ? J’aurais pu alors t’oublier ! »

* * *

« Il n’espérait rien de ce qu’il écrirait. Rien d’autre que le mince soulagement de l’avoir écrit. »

San-Antonio
(Déconnages épars)

— Votre mari n’est pas là, madame Eiffel ?

— Non, il est allé faire une tour.

A Germain Lapierre,

en souvenir d’une randonnée menée à vive allure dans les neiges québecoises et pour lui dire mon amitié.

San-Antonio

QUAND ÈVE ARRIVE А BON PORT

Justin se tient assis sur une son gros cul. Heureusement, elle est en cuivre, ou je ne sais pas quoi de métallique, et son dossier est hérissé de motifs aigus après lesquels on s'entame les fringues et la viande. Moi je dis qu'il faut être con pour fabriquer des sièges pareils. Ou alors rêveur. Pas songer à l’utilisation pratique de la chose. Si tu perds de vue le fonctionnel des objets, ils démissionnent, fatal.

Donc, Justin est assis. Il a gardé son veston, sa cravate imprimée. Il a gardé ses chaussettes et ses targettes. N’a ôté que son pantalon et son caleçon long, style président Fallières. Les deux gisent sur le plancher où ils continuent de se raconter leurs misères communes : les pets de Justin, ses hémorroïdes, ses mictions bâclées.

Justin pèse dans les deux cent vingt livres. Son dos, tu dirais un panneau d’affichage électoral. Presque pas de cou. Une tête grosse comme un casque de salon de coiffure, avec, sur le dessus, luttant contre l’émaillage d’une calvitie rose, des tifs queue de vache soigneusement plaqués à la seccotine.

Il se tient bizarrement assis, Justin. Un genou à Paris, l’autre à Lyon. Entre les deux, assise sur ses talons, Mirella, la flamboyante, est en train de lui tailler une pipe avec un bruit de restaurant à prix fixe napolitain, au moment des spaghetti. Justin est couperosé. Nez en pied de marmite, lèvres épaisses et luisantes, paupières en conques sur un regard placide et résigné de ganache asphyxiée par trop de nourritures riches.

Il contemple la fille qui s’acharne sur sa membrane. Elle a de la technique et de la détermination, Mirella. Sa spécialité, c’est le monde du ciné et de la téloche. Elle fait dans les extérieurs de nuit. Moyennant un petit bouquet au régisseur, elle se pointe avec sa vieille tire américaine aux vitres teintées, dont l’arrière est aménagé en petit boudoir. Elle se gare près des groupes électrogènes et alors le défilé commence, car un tam-tam de brousse annonce sa venue, et toute l’équipe radine en queue leu leu (si je puis dire) se faire essorer les glandes. C’est la conjoncture idéale pour putasser dans la tranquillité.

Ces hommes qui traversent des périodes de désœuvrement, qui biberonnent et se racontent des histoires de miches en attendant leur tour d’œuvrer, tu parles comme ça leur dit de se faire éblouir le panais ! A part le réalisateur survolté, tout le monde vient jeter sa gourmette (comme dit Béru). Il lui arrive même parfois, en fin de nuit, de brouter la script et les maquilleuses, Mirella. Elle est tout-terrain, la rouquine. Tant qu’à faire de se déplacer, faut affurer un max, c’est logique, non ? En fin de parcours, le sol est devenu glissant autour de sa guinde, je te le dis.

Et bon, pour t’en revenir à cette fée du turlute, elle est aux prises avec le brise-jet du gars Justоn présentement. Derrière la glace sans tain isolant son salon de sa chambre, Béru et moi assistons à l’opération.

— Dis voir, ç’a pas l’air d’êt’ un ténor du zifolo, ton pote ! ricane Béru. Eh’ va s’ détraquer la mâchoire, c’te gerce, à escrimer d’ la sorte !

Effectivement, la science pourtant très aboutie de la pute ne semble pas mener Justin aux apothéoses. La tête inclinée, ce qui lui vaut un menton supplémentaire, il regarde mâchouiller son paf assoupi.

La Mirella, elle est vaillante que tu peux pas savoir l’à quel point ! Au lieu de fléchir, elle enclenche le turbo ; mais c’est pas un turbo-mayonnaise. Ses efforts restent stériles.

Comprenant leur inanité, elle récupère son don de parole pour questionner :

— Dis voir, Chouchou, t’aurais pas trop bu de bière, des fois ?

— J’ croive pas, répond Justin.

Mirella considère avec mélancolie ce pauvre zob pendant qui porte atteinte à sa réputation.

— Ça t’aiderait, tu penses, si je te filais un doigt dans l’oigne ?

Justin met du temps à traduire. Lui, il est provincial et l’argot n’est pas encore parvenu (quelques termes exceptés, admis d’ailleurs depuis lurette par le Larousse), dans son Ardèche natale. Néanmoins il déchiffre l’aimable propose de Mirella et hoche la tête :

— Franchement, c’est pas la peine de vous déranger, assure le brave homme.

L’œil de bronze ne constitue pas sa longueur d’onde. Ses langourances coutumières le portent vers d’autres délices.

— Alors qu’est-ce qu’on fait ? interroge la chère fille. Je t’entreprendrais bien au vibromasseur, mais je doute que ce soit ton style, Chouchou. T’as le coït rural ; tu grimpes fermier, on le sent. Tes premières armes ont eu lieu dans une étable, comme la naissance du Petit Jésus. T’es un ramoneur de grands culs, tézigue ! Je me goure ? La vérité, c’est que je t’intimide, mon gros loup. On croit, les porte-jarretelles noirs, que c’est la panacée universelle, mais c’est un truc auquel seuls les intellos carburent. Je vois, toi, ça te fait ni chaud ni froid. Les bas non plus. T’aimes le gros linge honnête, celui qui fait des plis aux miches, et qu’on rabat comme des volets. La pipe non plus, c’est pas ta tasse de thé. Je parie que c’est la première fois qu’on te tutoie le Pollux ? Dans ta brousse, trésor, vous y allez à l’enfourchement de l’artilleur. L’embroque façon taureau. A peine en position, tu largues ta camelote. Tout juste si tu cries pas « Hue ! », ensuite, pour que ta partenaire dégage ta durite ! T’es près de la nature, quoi. Pas perverti le moindre. Tu te repères à la chaleur. Une fois dans la place, tu ne t’attardes pas, juste tu gesticules un peu du dargeot, et tu sèmes à tout ventre ! La payse n’a plus qu’à se démouscailler le joufflu ; question panard, pour elle c’est la tringle ! Chez vous autres, les nabus, vous ne faites pas l’amour : vous vous reproduisez. La baise, mon grand, c’est un art.

« Puisque te voilà chez une professionnelle, faudrait que tu piges ce que tu manques, Chouchou. Tu vas pas mourir sans avoir eu un aperçu. Les semailles, c’est beau, je conviens, mais c’est pas avec ça que tu composes un opéra. Tu ne sais pas ? Puisque ta passe est payée et que tu n’as pas consommé, on va demander à M. Alexandre-Benoît, qui se trouve au salon, de venir te faire une démonstration, Chouchou. Lui, c’est un vrai régal ambulant, cet homme. Le queutard de haute lignée ! Déjà son braque, faut pas avoir la chattoune en boutonnière de décoration pour se l’ingurgiter ! Tu vas voir, ce seigneur du mandrin ! Et puis alors, la technique, chapeau ! Moi, quand une petite nouvelle vient me demander conseil pour se lancer dans le pain de fesses, sans hésiter je la branche sur M. Alexandre-Benoît. Tu peux pas trouver meilleure école. Le guisot de M. Alexandre-Benoît, c’est la toute grande rareté, question braque. Ses parties de cul, une apothéose du sensoriel ! »

Un qui frime, près de moi, c’est Mister Béru. Ces louanges lui vont droit au cœur. Il renifle de l’humidité qui doit être proche des larmes.

— C’est gentil, il murmure. V’Ià une gagneuse qui sait rend’ à Béru c’ qu’appartient à Mozart. L’hommage d’une vraie pro, ça m’ touche. Elle a raison, Mirella ; ton con d’ plouc, faut lui faire une démontrance, qu’il susse à quoi ça correspond, exaguettement, une partie d’ jambons pur fruit.

Il passe dans la pièce voisine, épanoui, le ventre en avant.

— J’allais justement vous demander, monsieur Alexandre-Benoît ! s’extasie la rouquine.

Le Gros tapote l’épaule de Justin.

— Alors, comme ça, on est en rade d’allumage, m’sieur Justin ? V’s’avez du diesel dans vot’ réservevoir d’ super ? Restez assis, j’ vous prille. J’ vas vous remplacer au pied levé, c’est l’ cas d’y dire. Mad’m’selle Mirella, toute pute qu’é soye, j’ la fais hurler d’ bonheur, pas vrai, ma Puce ? Et pourtant, du chibre, elle attend pas après ! Elle bat l’ Mermoz en f'sant du dix nœuds à l’heure dans les urgences.

Tout en parlant, il se dépiaute presque entièrement, ne conservant que ses chaussettes, ses souliers et aussi son chapeau.

Mirella prend le relais.

— Tu vas voir, Chouchou, annonce-t-elle en se plaçant en travers du lit, M. Alexandre-Benoît va m’entreprendre par une babasse-dégustation ; et avec lui, c’est pas du chiqué de sénateur asthmatique, espère ! La groume intégrale, un vrai caméléon, question de la menteuse. T’as remarqué sa chopine de bourrin ? Dis-toi que pour la langue, c’est en rapport. Sa bavarde, tu croirais une semelle de botte.

« Tiens, vise comme je chique à la petite grenouille ! La minouche comme la porte de ta grange, Chouchou. Penche-toi, tu verras mieux. Tu notes comment qu’il me vote ses petits coups de semonce, le chérubin ? Sur le pourtour. Yop ! Et yop ! Et maintenant, il va faire l’entonnoir géant. En spirale ! C’est ça qui fait son prestige, M. Alexandre-Benoît. Comment ? Tu vois pas à cause de son chapeau ? Ah ! ça, c’est son péché mignon, le chapeau, M. Alexandre-Benoît. Un roi tient moins à sa couronne que lui à son bada.

« Vise un peu la démonstration, Chouchou. Ses mains ! Là, tu les vois, ses mains ? La droite ! Tu piges le manège des doigts ? Un dans la moniche, l’autre dans le petit borgne. Et sa gauche ! Loupe pas le manège de la gauche. Il me malaxe les noix, et ça c’est du vrai boulot de boulanger. Je ne serais pas blasée, je crois que j’appellerais ma mère ! »

Moi, assis dans un fauteuil pelucheux, les jambes allongées, les mains croisées sur le bide, je contemple l’aimable spectacle, lequel est beaucoup plus attrayant que bien des cassettes pornos.

Peut-être, puisque je suis un romancier consciencieux, serait-il temps pour moi de t’affranchir sur l’objet de notre présence chez Mirella ! Oui, n’est-ce pas ?

Sache donc, ô mon ami cartésien, que tout a commencé avant-hier. Je désœuvrais à la Maison Poupoule devant L’Evénement du Jeudi, toujours riche d’enseignement, lorsque le standardiste m’a annoncé un appel de province. Un certain Justin Petipeux, de Goguenars, Ardèche, demandait à me parler. N’ayant pas ce nom sur mes tablettes, je faillis refuser la communication, mais, tu le sais, nous autres, chevronnés de la Rousse, détenons un sixième sens qui nous alerte à bon escient.

Mû par un réflexe incontrôlé, je demandai à Narcisse Suave, le préposé, de me brancher. J’obtins alors ce bel organe embarrassé, gras, au lent débit légèrement chantant qui n’appartient qu’à un homme de la terre ou, pour le moins, du terroir (de la commode).

« — Vous êtes le commissaire Santantonio ? »

ils me foutent toujours un « t » à San et sucrent mon cher tiret, ces nœuds !

« — Entièrement ! » répondis-je.

« — Çui-là qu’écrit des livres ? » insista la voix des campagnes.

« — Exactement ! » confirmé-je.

Il y eut un court silence. L’homme respirait bruyamment et cherchait ses mots en même temps que son souffle.

« — J’en ai lu deux », me révéla-t-il.

« — J’en suis flatté. »

« — L’an passé, je me suis laissé opérer d’une péritonite », reprit l’Ardéchois.

« — Vous avez bien fait, dis-je. Si on ne soigne pas ces choses-là, elles peuvent dégénérer en mauvaise grippe. »

« — Je sais », me rassura la voix rurale.

Mon terlocuteur toussa gras, rassembla, avala et reprit :

« — C’est du temps que je me trouvais à l’hôpital que j’ai lu vos deux livres. »

« — J’en ai écrit davantage », mis-je un point d’honneur à préciser.

« — Ah bon ? »

« — On peut vous adresser la liste, à moins que vous ne lisiez que lorsqu’on vous opère d’une péritonite ? »

« — Oui, c’est cela. »

« — C’est cela, quoi, cher monsieur ? Vous voulez la liste de mes œuvres, complètement incomplètes grâce à Dieu, ou bien avez-vous cessé de lire ? »

« — J’ai cessé de lire. Y a pas de raison que je continue. »

« — En effet. Eh bien, je suis ravi que vous m’ayez honoré de cette double lecture, cher monsieur. »

Il sentit que j’allais raccrocher et s’écria :

« — Attendez ! »

J’attendis.

La voix reprit sa route tortueuse vers mon entendement :

« — C'est à cause de ces deux bouquins que je vous téléphone. Je me suis dit que vous me prendriez peut-être pas pour un con. Si j’irais à la gendarmerie, ils me traiteraient de fou. J’étais à l’école avec le brigadier Chauducq et je connais l’oiseau ! Je me suis dit que le gars qu’écrivait de cette manière à vous, on pouvait y aller franco avec lui. »

C’était touchant ! Je fus touché.

« — Dites-moi ce qui vous tracasse », convié-je.

Il se ramona derechef les muqueuses et en fit son profit.

« — Hier, je purinais mon champ vers chez la Sourde. Quand ma citerne à lisier a été vide, j’ai décidé de casser la croûte et je me suis installé contre la haie de noisetiers bordant la route. »

« — C’était une excellente idée, fis-je, manière de l’encourager. A votre place j’en aurais fait tout autant. »

« — Oui, dit-il. Pendant que je mangeais mes caillettes, une auto s’est arrêtée de l’autre côté de la haie. Un type en a descendu pour pisser. J’ai même pris une giclette sur mes caillettes. »

« — Voilà un casse-croûte sottement gâché », déploré-je.

« — Tout de même pas, reprit mon interlocuteur. S’il fallait s’arrêter à ça… »

Il se reracla la corgnole, déglutit en force et dit :

« — Du temps qu’il pissait, le type causait à quelqu’un resté dans l’auto. Il lui a dit : « Tu devrais brancher la radio pour les informations, c’est aujourd’hui ou demain qu’ils vont zigouiller le général Chapedelin. » J’ai pas entendu ce que répondait la personne dans la voiture ; je ne saurais même pas vous dire si c’était un homme ou une femme. Le pisseur, lui, a entendu puisqu’il a répondu : « Ils vont le tuer à Bruxelles. Dès que ce sera fait, il faudra que j’aille à Montréal pour la suite des opérations. » Et il a encore ajouté : « Sale boulot ! Là-bas, ça risque de saigner dur. » Et puis la personne restée dans l’auto a mis la radio en marche et ils ont plus causé. Le bonhomme a fini de pisser et ils sont repartis.